L’auberge espagnole en Italie du Sud
Hier j’ai regardé l’auberge espagnole, ce film que j’avais déjà vu et qui m’a rappelé un certain passé de ma vie dont je n’ai jamais parlé ici.
C’était il y a dix ans maintenant. Février 2007 je pars à Lecce, si tu ne veux pas cliquer sur le lien, en résumé c’est une ville dans le sud de l’Italie.
Avant de parler de mon expérience personnelle (et j’insiste bien sur le personnelle), je vais t’expliquer comment j’y suis partie, et pourquoi.
Je suis en licence Langues Étrangères Appliquées (et non c’est pas une fac de langues, c’est un peu plus comme une classe européenne : il y a plein d’unités d’enseignements en langues étrangères et nos profs ne sont pas tous français. Nous avons des canadiens, des italiens, des espagnols etc… qui nous enseignent leur matière dans leur langue). Je n’ai pas les moyens de faire comme beaucoup d’étudiants de ma promo qui partent en vacances dans les pays étrangers, je travaille pour payer mon loyer, mes charges etc… Forcément, autant mon niveau dans les enseignements qui ne nécessitent pas les langues est plutôt pas mal, autant parler une langue étrangère reste très difficile puisque je ne pratique pas. Et en 2007, mon professeur d’italien me dit “toi faut que tu partes, tu parleras italien et comme il y aura d’autres étudiants tu pourras parler aussi anglais et espagnol”. Et l’idée a fait son chemin. Couplé à ça le fait que j’avais besoin de changer d’air, de voir autre chose, je me suis lancée dans l’aventure ERASMUS.
Ayant des moyens très très limités, la première question que je me suis posée c’est “comment je vais payer le voyage ? et les loyers là bas ? et les courses ?” les cours étaient secondaires finalement à cette époque, Je me suis donc renseignée déjà sur le trajet. Bon Metz à Lecce y’en a pour 1500 à 2000 km. Soit environ 17h de voiture. Sauf que j’avais pas de voiture. L’avion on oublie, avec les bagages ça reviendrait trop cher pour ma bourse. Et donc il reste le bus. 24h de bus pour 120€ aller/retour (l’aller était à date fixe, le retour à date libre).
Je me renseigne également sur les aides que je peux avoir pour payer ce déplacement, la Région et le département ont pris en charge une partie de ces frais. Je précise que j’étais boursière, que j’avais un travail en plus de mes bourses et que j’ai fait toutes les démarches nécessaires pour remplir des tonnes de dossiers (et oui c’était galère).
Si je cumule le tout, j’avais environ 700€ de bourses, 400€ de job étudiant et 200€ d’aides Région + Département. Soit un peu moins de 1300€/mois. Je partais presque sereine. Je quitte donc mon logement français, je dis au revoir à mes proches, je prête mon furet à mon papa, je prends ma valise et je monte dans ce bus. 24h. 24h c’est long. Beaucoup. C’était pas le grand confort, dormir c’était pas vraiment possible (pas de position couchée ou autre, mais pour le prix on va pas se plaindre). On a fait 3 pauses pendant ce trajet. Les deux chauffeurs se relayaient aux arrêts de bus, du coup on ne perdait pas trop de temps mais pour se dégourdir les pattes ou aller faire pipi c’était un peu plus chaud.
Puis enfin, on arrive à Lecce, Le chauffeur sort nos bagages et nous dit “buona fortuna ragazzi !” et se barre. Donc on est en plein milieu d’un parking, on ne connaît pas la ville et on est là. Pendant que certains paniquent légèrement, d’autres regardent autour d’eux. De l’autre côté de la route nous apercevons il Grand Hotel Tiziano e dei Congressi. Alors ouais, ça ne te dit rien à toi, mais c’était notre point de chute. Il loue les chambres de bonnes à 12€ la nuit, limité à 5 nuits. Nous avons donc moins d’une semaine pour trouver un appartement. Enfin, une collocation plutôt, vu nos budgets serrés.
Et c’est là qu’on commence à rire. J’ai bien dit qu’il était juste de l’autre côté de la route. Il suffit de traverser. Tout simplement. Nous avançons vers le passage piétons, et nous regardons les voitures passer. Pour te donner une idée, c’est un peu comme tenter de traverser l’autoroute : ils roulent à 130km/h environ et ne s’arrêtent pas. Je vois une vieille dame qui traverse sans regarder, mon cœur s’emballe, elle va se faire scrabouiller, et en fait non, comme par magie, elle passe son chemin, j’ai l’impression que les voitures dansent autour d’elle : l’une passe derrière, l’autre devant sans jamais freiner ou stopper cette cadence infernale. Elle arrive de l’autre côté saine et sauve. Du coup pas de raison que ça ne passe pas pour moi, je tire ma valise à roulette et je me lance. En lieu et place de ce ballet magique, j’entends crissement de pneus et klaxons mais ça passe nickel.
Achievement unlocked: traverser une route sans mourir.
Il Grand Hotel Tiziano e dei Congressi
Nous arrivons donc à l’accueil de l’hôtel, trop chic pour nous.
– Bonjour, nous sommes des arrivants ERASMUS de Metz, normalement des chambres sont réservées pour nous pour 5 nuits – Siamo in Italia, parliamo in italiano qui ! – Scusa, siamo gli ERSAMSUS da Metz… – Sì sì ho capito
Il nous lance nos clés. Nous découvrons nos chambres. Elles sont petites, un petit lit, un petit bureau mais c’est fonctionnel. Je ne vois pas de toilettes ni de salle d’eau, visiblement les autres non plus, nous nous rejoignons dans le couloir et nous découvrons nos toilettes et douches communes. Il y a trois douches par étage. Pour une dizaine de chambre.
Le soir, nous décidons de découvrir un peu la ville, de visiter les alentours et de repérer les lieux. En 2007, nos forfaits téléphoniques ne nous permettent pas de téléphoner à l’étranger, nous cherchons donc une cabine téléphonique ainsi que l’endroit où acheter des cartes téléphoniques. Ils en vendent à 5€ pour des appels vers la France. J’en achète une pour appeler mes parents, leur expliquer que je suis bien arrivée et que ça va. En cherchant un bureau de tabac (ils sont ouverts jusque tard le soir), nous nous rendons compte qu’il y a une prison à côté de l’hôtel. Nous nous demandons à ce moment là où nous sommes tombés exactement, Une prison en plein cœur d’une ville c’est pas commun. Nous en profitons pour trouver une pizzeria et la galère commence. Sur les bancs de l’école, on nous apprend à avoir une conversation, à suivre les informations, à lire, mais jamais à commander une pizza, à demander nos couverts qui sont manquants ou encore à s’exprimer comme on le ferait dans un restaurant.
– Salve, sarrebbe possibile di avere una forchetta per favore ? – Sì certo, avete scelto ? – euhhh sì [Nous commandons]
Nous rentrons et j’en profite pour appeler mes parents et les rassurer.
non non t’inquiète ça va, mais tu pourras regarder sur internet ? Y’a une prison juste à côté de l’hôtel c’est assez bizarre…
Achievement unlocked: commander une pizza et demander une fourchette manquante.
Premier jour à L’Università degli studi di Lecce.
Nous arrivons dans une grande maison, une maison des étudiants d’après mes souvenirs, à l’autre bout de la ville. Ils nous donnent un petit livret où toutes les unités d’enseignement y sont renseignées. Nous devons choisir nos UE sachant qu’à la fin il nous faut 30 crédits pour valider le semestre. Nous devons donc choisir nos enseignements en fonction de ce qu’ils rapportent. Cependant, beaucoup d’enseignements n’en proposent que 3 à 6, et qu’il nous faudrait beaucoup de temps et de patience pour obtenir autant de crédits. Une étudiante qui restait là nous explique le concept : vous êtes étrangers, il suffit d’aller voir vos professeurs et de négocier les crédits qu’ils vous faut. La plupart des étudiants en choisissent trois.
Nous choisissons donc trois enseignement : il francese, l’inglese e l’economia del turismo. Ce qui correspond à peu près à ce que nous pouvons trouver en France à Français, Anglais et économie (ici du tourisme puisque l’économie de Lecce est surtout basée dessus). Elle nous donne alors un plan de la ville. En effet, Lecce est un gigantesque campus universitaire où se partagent tous les enseignements. Le Français se trouve à l’Università degli studi, l’anglais se situe à l’Università del Salento et l’économie à l’Università del Salento: Edificio Codacci-Pisanelli. Trois universités pour trois enseignements. Elle nous explique qu’en général les étudiants choisissent au plus simple car il est très compliqué de suivre les cours sur trois universités différentes. Nous nous accordons cependant sur ces enseignements qui sont les plus proches de ce que nous pouvons trouver et si ce n’est pas validé par notre université française alors nous ne pouvons pas valider notre année.
Achievement unlocked: choisir ses unités d’enseignement.
Nous sommes arrivés le 12 février à Lecce, pendant les vacances de février. Nous avons pensé à chercher un appartement avant de prendre les cours, mais puisque l’Università degli studi di Lecce est à côté de l’hôtel, autant repérer les lieux directement.
Je vous ai parlé d’une prison à côté de l’hôtel hein ? bah en fait, c’était la fac (amis anglophones oui, ici on dit je vais à la fac, et non je vais à la fuck).
Le lendemain, on cherche un appartement.
Déjà deux nuits, il ne nous en reste plus que trois pour déménager. Nous nous rendons, un peu dépités, dans une association qui aide les ERASMUS à trouver un appartement. C’est assez tendu, l’étudiante qui doit s’occuper de nous aider et nous orienter n’aime pas vraiment ces français qui la font chier. Un autre étudiant prend le relais. Il nous invite le soir à boire un verre au centre ville pour nous montrer un peu la ville et apprendre à se connaître un peu. On ne voulait pas trop, nos budgets étaient plutôt serrés, mais nous acceptons.
Arrivés sur place, les boissons sont presque données 1€ la bière, 1€ le soda, 1€ le jus d’orange, 325€ la coupe de champagne. Nous commençons avec une coupe de champagne. Nan j’déconne, on se prend une bière et nous parlons un peu de la ville, de la fac et de nos galères. Il est compréhensif et assez charmeur visiblement mais ce n’est pas mon genre. Nous restons raisonnables et après notre verre nous rentrons nous chercher un petit truc à manger et nous coucher.
Ah oui pendant ces quelques jours, nous faisons un petit dej à l’hôtel le matin, et un repas par jour le soir. Nous prenons une petite pizza ou un wurstel sfogliata dans une petite boulangerie, à 1€ aussi.
Plus que deux nuits avant de se retrouver dehors. Nos parents paniquent un peu à l’idée de nous savoir dans un pays étranger sans logement, et deux nuits, c’est court. Trop court. Mais Ricardo (l’étudiant qui nous aide) nous trouve des logements. Ah oui précision : nous sommes une quinzaine à avoir débarqués comme ça. D’où la difficulté à nous placer, mais il trouve.
Quatre d’entre nous atterrissons dans une maison, au 12 Via Marino Brancaccio, à côté de la Porta San Biagio. Il nous faut alors signer les papiers avec la propriétaire et verser le premier loyer de 200€ chacune ainsi qu’une caution de 200€ chacune. Et c’est là que ça se corse. Nous avons droit à un retrait de 300€ par semaine, nous arrivons à avoir notre argent en faisant deux retraits de suite de 200€ chacun. Et on se retrouve sans carte pour une semaine. Sauf qu’on ne l’a su que le lendemain.
Nous passons donc notre dernière nuit à l’hôtel et retrouvons Ricardo le lendemain avec toutes nos affaires afin qu’il nous emmène à la maison fraîchement louée (parce que oui, nous avons un peu de mal à nous repérer au début).
Enfin chez soi.
Nous profitons de cette première journée à la maison pour faire le tour du propriétaire, nous attribuer nos chambres, découvrir qu’il n’y a pas de draps ni de couette (j’en ai pleuré) et faire donc nos courses du nécessaire de survie. Nous trouvons un magasin à tout : ils vendent des cafetières, des couettes, des couvertures etc, et on déchante assez vite, une couette 400€, des draps 200€, une cafetière électrique 250€, puis on s’enfonce dans le magasin : des plaids à 2€, des cafetières italiennes à 5€, le choix est vite fait. On en profite pour chopper du café au supermarché à côté. Une des filles est en manque de coca, on tente d’en trouver mais ils ne font que du cola no name, du coup on finit par retourner à la maison et décharger nos courses pour trouver un Mc Do pour avoir du vrai coca. Y’en a un à 5mn à pied de chez nous sur la Piazza Sant’Oronzo. Au milieu de cette place il y a une mosaïque, la mosaïque d’une louve. Nous ne faisons pas attention et marchons dessus. Une dame nous arrête et nous baragouine une truc incompréhensible en patois local. Nous continuons notre chemin et nous croisons Ricardo qui nous explique qu’il ne faut pas marcher sur cette mosaïque sinon le malheur se pose sur nous, pour lever la malédiction il faut faire trois fois le tour des couilles de la louve avec le pied. Oui oui les couilles de la louve. Je ne vais pas m’attarder ici sur la mythologie et pourquoi une louve mais vous pouvez lire l’histoire de Romulus et Remus ici.
Bref, on va au Mc Do et vous ne me croirez jamais : c’était le second de ma vie. Et j’aime pas ça.
De là on se dit qu’on va enfin se faire un vrai repas. On achète un poulet, des pommes de terre et on cuisine. On met le tout au four et, PAN. La vitre intérieure du four qui explose. J’ai eu de la chance de tomber avec des filles, elles avaient des pinceaux de maquillage, on a pu virer les bouts de verres avec ces pinceaux mais inutile de préciser que notre repas est tombé à l’eau.
Pendant ces mois passés dans cette maison, la proprio se réservait le droit de venir (elle avait une clé) sans prévenir, juste pour voir si c’était propre, Je vous dis pas le carnage le dimanche matin après la messe, quand elle venait et qu’on avait une gueule de bois pas possible, parce que oui, chose comique, le cubi de blanc vraiment pas dégueu à 2€ quand le moral est au plus bas ça fait du bien.
Nous commençons la fac, les cours se chevauchent mais on se répartie les matières et on récupère les cours. On prend notre rythme, on trouve du wifi gratuit sur les marches de la Chiesa San Matteo (à côté de chez nous), on trouve un cybercafé aussi pas trop loin (le wifi a été désactivé lors des fêtes de Pâques). On fait des botellòn sur la Piazza Sant’Oronzo avec les autres étudiants et les autres ERASMUS, on se prend d’amitiés pour certaines personnes (enfin les autres, j’ai toujours eu du mal avec les relations sociales).
Lorsqu’il fait trop chaud, les cours se passent dans l’herbe le matin, ils sont annulés s’il fait trop chaud et on se retrouve à la plage. Quand il pleut, seul le professeur d’anglais maintient son cours, les rues sont vites inondées dans cette ville,
La première fois qu’on a été à la plage c’était en Avril, il y faisait beau, avec un peu de vent, mais ça faisait du bien après toutes ces péripéties d’avoir un moment de répit. J’ai aussi eu le premier coup de soleil de ma vie. Sur le bout du nez. Un jour, nous sommes parties à la plage un matin comme on le faisait souvent le samedi matin, les horaires de bus avaient changé mais nous ne le savions pas, Après nous avoir déposées, nous disons au chauffeur de bus que nous le reprendront comme d’habitude à 11h. Il rigole et nous dit qu’il ne fait plus ce trajet, qu’avant 17h il faut prendre un bus pour Casalabate (nous allions à la plage de San Cataldo en temps normal) pour retourner sur Lecce, et le prix du trajet est de deux tickets de bus, nous n’en avions qu’un (et lorsque nous allions à la plage nous ne prenions que le strict minimum). Nous sommes donc restées en plein soleil sur la plage de 9h à 17h. C’était plutôt drôle je dois avouer, sauf pour mon nez bien entendu.
Et arrive la fin du semestre, et les exams.
Les exams en italie du sud.
Le jour des exams arrive. Nous commençons par l’économie à 8h du matin. En bons français, nous arrivons à 7h30. Personne avant 10h. Là notre prof se pointe, nous donne une feuille où on doit inscrire nos noms, ça sera l’ordre de passage.
Comme personne ne veut commencer, je me lance. Et j’y passe la première.
il me pose une question (en italien bien sûr) :
– Que penses-tu de Lecce ? Le soleil ? La plage ? – Sérieux ? J’ai bossé toute la nuit pour ça ? – Ok, parle moi de la matrice économique de Lecce concernant le tourisme.
Ce qui équivaut strictement à la même question, et du coup je réponds et ma note tombe : 27/30.
Nous passons l’anglais et le français dans les mêmes conditions. La note est aussi de 27/30 pour moi (pour les autres ERASMUS la note peut osciller entre 22 et 27).
Et vient le jour de repartir, rendre les clés, se dire au revoir. Et bien que cette expérience était l’une des plus catastrophique de ma vie, elle fait paradoxalement partie des meilleures.
J’avoue que ce billet était un peu long, et je ne sais pas si tu as réussi à tout lire, mais si tu y es arrivé(e), merci 😉
Et comme toujours, des bisous.
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