#MercrediFiction #3.13

Emma rentre lentement, ne réalisant pas forcément tout ce qu’elle avait fait. Elle se souvient vaguement de la scène. Entre la pensée et le réel. Elle était souvent comme ça, souvent entre deux mondes, souvent ailleurs quand le monde réel devenait trop difficile à encaisser. C’est, entre autre, pour ça que les gens la trouvent bizarre. Elle se dirige vers son ancien appartement quand Jules et Enzo la rattrapent.

– Hey Piccolina !
– Bah quoi ?
– Ce n’est pas là.
– Mais siiiiiii !
– Viens…

Emma n’avait pas envie de changer de chemin, comme si sa tête ne se souvenait plus du déménagement. Sûrement trop récent. Sûrement pas encore habituée à faire ce chemin. Jules savait très bien ce qu’il se passait. Il prend la tête d’Emma dans ses mains, pose son front contre le sien…

– Souviens toi… Jeudi, Mallow dans sa nouvelle caisse. Trois chambres, c’est grand. Une chambre chacun et plus tous ensemble sur le même matelas.
– Je…
– Chuuut, souviens toi juste, ça va aller…

Jules embrasse le front d’Emma, la prend par la main et lui fait changer son chemin. Emma n’avait aucun souvenir du déménagement. c’est normal, elle avait bu et c’était la première fois qu’elle rentrait de la Piazza dans ce nouvel appartement.

Enzo ne comprenait pas vraiment ce qu’il s’était passé. Il veut comprendre mais Jules l’arrête d’un “pas maintenant” ferme et définitif. Ils rentrent. Jules accompagne Emma dans sa chambre, lui fait un câlin et ressort en fermant la porte. Il ouvre un placard et en sort une bouteille de whisky bon marché qu’ils avaient achetée pour fêter leur arrivée dans cet appartement. Il prend deux verres, s’assoit, pose les deux verres sur la table, verse le whisky dedans et en pousse un en face de lui. Enzo prend place en face du verre.

– Tu veux vraiment savoir ce qu’il s’est passé tout à l’heure ?
– Sì Fratello…
– Je sais pas trop comment ça a commencé. Elle avait 11 ou 12 ans, j’en avais 13 ou 14. Elle est venue en larmes chez moi. Les mots ne voulaient rien dire. J’ai eu peur, j’ai voulu appeler ses parents, elle m’a supplié de ne pas le faire. J’aurais peut être dû le faire quand même… Et depuis ce jour, sa mémoire s’emballe… Elle a du mal à distinguer ses rêves de la réalité et la réalité de ses cauchemars…
– Vous semblez tellement proches tous les deux…
– Elle est la petite sœur que je n’ai jamais eu… Et je pense qu’elle a aussi besoin qu’on s’occupe d’elle même si elle joue les dures et prétend le contraire.
– Ah oui, ça j’ai pu le voir oui…

Enzo et Jules continuent leur discussion pendant qu’Emma dort paisiblement, bercée par les ronrons de son chat.

Le lendemain, Emma se réveille, essuie la bave qu’elle a mise sur lui et se lève. Dans la cuisine les deux garçons avaient déjà préparé le petit déjeuner.

– Waw, il se passe quoi là ? C’est la fête ?
– Mange.
– Euh… Ok…

Emma s’assoit, prend une gaufre encore chaude et la mange en regardant les deux garçons qui la regardent en souriant.

– Bon ok, j’ai fait quoi hier soir ?

Enzo et Jules éclatent de rire.

– Tu avais raison Fratello… Il suffit de la regarder avec un petit sourire et ça fonctionne à la perfection…
– eh eh, je te l’avais dit… Tu me dois 10€…

Emma les regarde…

– Vous êtes sérieux là ? Vous pariez sur le fait que je me souviens de rien ? C’est vraiment pas cool… J’veux 50%.
– Ça marche…

Ils boivent leur café, tranquillement…

– On fait quoi aujourd’hui les gars ?
– La même chose que tous les jours Minus… Tenter de conquérir le monde !
– D’accord, on commence par prendre une douche du coup ?

Enzo avait surtout en tête de voir comment les gens se sentaient aujourd’hui… S’ils se souvenaient de l’intervention d’Emma de la veille ou non, si ça avait eu un impact ou non. C’était décisif pour la suite des opérations. Savoir comment ils pourraient s’en sortir et combien ils pourraient être.
Après la douche, Enzo propose d’aller faire des courses. Le frigo étant vide, ils n’avaient pas vraiment le choix. Ils sortent.

Les rues étaient chargées pour un dimanche matin… Les gens regardaient Emma. Elle ne comprenait pas pourquoi.

– Ok… J’ai gerbé hier ?
– Oui…
– DEVANT TOUT LE MONDE ?
– Non… Il n’y avait que toi et moi…
– Alors pourquoi ils me dévisagent ?
– Rappelle-toi. Le concert. La musique, du rock. Et…
– Et Bella Ciao…
– Oui…
– Merde. C’était pas…
– Non. Ce n’était pas un rêve.

Emma se sentait rougir, elle aimait être invisible. Elle voulait être invisible. C’était raté.
Elle s’arrête. Se sent mal… S’assoit sur une marche d’une église devant laquelle ils passaient. Et elle voit une petite fille, 7 ou 8 ans, s’approcher d’elle.

– Una mattina mi son’ svegliata…

Puis une jeune fille d’environ 15 ans, sûrement sa grande sœur vu la ressemblance, continua avec la petite fille…

o bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao

D’autres personnes se joignent aux filles…

Una mattina mi son’ svegliata, e ho trovato l’invasor.

Emma regarde la foule qui grossit encore et encore… Elle se lève et sent une larme couler sur son visage. La petite fille se rapproche d’elle, lui prend la main et continue de chanter avec la foule en regardant Emma…

O partigiano, portami via, o bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
O partigiano, portami via, che mi sento di morir.

Emma les regarde, émue, lève le poing gauche et chante avec la foule qui imite son geste.
Enzo et Jules n’en croient pas leurs yeux. Une chanson. Il a suffit d’une simple chanson. Elle a réussi. Elle a rassemblé les foules.

Même elle n’y croyait pas… Cette chanson avait une histoire pour sa famille, peut-être avait-elle la même histoire pour toutes ces personnes devant elle ? Elle parcourt la foule des yeux. Elle y voit des tout petits, des adolescents, des jeunes, des personnes âgées, des hommes, des femmes… Jamais elle n’aurait pensé rassembler la population ainsi.

Mais maintenant qu’elle savait qu’elle pouvait compter sur ces personnes, qu’elles étaient derrière elle, il fallait s’organiser et savoir comment s’y prendre pour reprendre le contrôle de la ville. De leur ville. Comment faire pour que la Mafia ne se doute de rien ? Et si elle savait déjà ? Comment éviter les pertes humaines ?
Emma savait qu’ils ne feraient pas la différence entre enfants ou personnes âgées… Mais elle savait aussi que tous avaient conscience des risques. Après tout, c’est le thème de la chanson : mourir pour la liberté.
La foule était prête à renoncer à leur sécurité pour la liberté.

Les joues d’Emma deviennent moins rouges, ses yeux se sèchent doucement mais les frissons qu’elle avait sur la peau persistent encore.

Jules et Enzo montent sur les marches de l’église, à côté d’Emma et de la petite fille, lèvent également leur poing. Jules regarde Emma, lui sourit, elle lui rend son sourire et comprend son regard. Ce regard qui veut dire bravo Puce, tu as réussi, je suis fier de toi.

Une fois le chant des partisans terminé, Emma quitte les marches de l’église encore tremblante et continue son chemin, comme si rien n’était arrivé.

La foule fait de même. Enzo n’en revient pas.

– Je savais que tu réussirais…
– Je n’ai rien fait, j’ai juste chanté une chanson qui compte pour moi…
– Et pour eux… Et tu y as mis ton cœur et ton âme dedans…
– Parce que je ne sais pas faire autrement je crois.

Ils continuent de marcher sous les sourires des gens qui passent. Certains lèvent leur poing gauche pour les saluer. Emma sourit sans rien dire mais des papillons dans son bas ventre se font sentir de plus en plus.
Elle ne savait pas où elle allait comme toujours. Mais elle savait d’où elle venait et ce qu’elle voulait. C’est tout ce qui importe à ce moment-là.

Ils passent leur journée à traverser la ville puis rentrent enfin au calme. Emma ferme la porte, va chercher son gros chat et de pose dans la cuisine.

– Bon, c’est quoi la prochaine étape ?

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hackorn
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Un peu magique, un peu trash, un peu tout, surtout rien.

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