#MercrediFiction #3.1

Elle regarde les paysages défiler à travers la vitre, se laissant porter par le bruit des rails. Elle doit fuir, encore. Fuir un passé trop lourd, trop de souvenirs. Elle n’a pris que sa valise et son chat, comme toujours.

Emma n’a que 26 ans, mais elle a l’habitude de ces épreuves. Elle a pris un billet pour Paris. Elle n’aime pas Paris mais il faut qu’elle y passe pour repartir ailleurs. Elle ne pouvait pas choisir autant de destinations dans sa petite gare.

Elle est partie pour 3h de paysages et de ronrons de chat. Mallow a l’habitude, lui aussi. Il est calme, sur ses genoux. Il ne supporte pas la cage de transport alors, pour ces voyages, elle lui met son harnais. Il se traine par terre comme s’il avait la misère du monde sur son dos lorsqu’elle le lui met. Mais une fois couché sur les genoux d’Emma, il oublie sa laisse et se laisse bercer par les caresses de son humaine.

Elle a toujours aimé se laisser porter par le train, c’est pour ça qu’à chaque nouveau départ, c’était le même rituel : elle fonce dans la première gare, rejoint Paris, puis bouge son doigt au-dessus d’un plan parisien pour savoir quelle gare elle choisit. En fontion de ça elle a une première destination, puis elle joue pour connaître sa seconde… et en général il y en a toujours une troisième si elle a le budget.

Arrivée à Paris, elle prend un plan de la ville, se met dans un coin au calme, ferme les yeux et pose son doigt sur le plan (qui n’est pas à l’endroit, bien entendu).
Il n’y a que six possibilités : gare de l’Est, d’où elle venait, Gare du Nord, Gare Saint-Lazare, Gare Montparnasse, Gare d’Austerlitz et la Gare de Lyon.
En fonction du choix de sa gare elle se retrouvera dans une nouvelle ville. Une nouvelle ville pour une nouvelle vie.

Elle pose son doigt… Gare de Lyon. “Hop Mallow… direction Gare de Lyon cette fois-ci ! ». Elle prend Mallow, le met dans un sac à bandouilère moelleux pour qu’il puisse y dormir sans trop paniquer, récupère la poignée de sa valise à roulettes et se dirige vers Gare de Lyon.

Arrivée à Gare de Lyon, elle regarde le panneau d’affichage. Ses yeux se portent sur Milan. Milan ça peut être cool pense-t-elle. Elle file acheter son billet pour Milan… Un peu plus de sept heures de train sans changement, ça va laisser le temps de dormir. Il lui reste 1h avant que son train ne parte. Elle en profite pour faire manger et boire Mallow, et sortir pour voir s’il ne doit pas faire ses besoins.

Elle monte dans le train, trouve sa place. Un contrôleur arrive…

– Bonjour, avez-vous un billet pour le chat ?
– Oui la madame au guichet m’a donné un billet avec animal en plus.
– Il devra rester en cage, vous n’avez que ce sac ?
– Oui mais 7h c’est long… il sera en laisse sur mes genoux et sera sage je promets.

Le contrôleur, attendri par l’attitude d’Emma, fait mine de ne pas être très content, souffle un petit peu et reprend :

– Bon très bien, mais tous les deux vous serez sage hein ?
– Oui promis !

Elle pose sa valise aidée par le contrôleur, se met à sa place avec Mallow sur les genoux qui commence déjà ses ronrons.

En 26 ans elle avait vécu bien plus de choses que les gens de son âge. Tu devrais arrêter de lire cette histoire si tu ne veux pas lire son passé, si tu veux lire une histoire heureuse je te conseille plutôt d’ouvrir un roman ou de regarder un film de princesse.

Elle n’avait jamais réussi à vivre pour elle… Plutôt solitaire, elle changeait de vie assez souvent. Elle en avait besoin. Dès qu’un endroit n’était plus sûr pour elle, elle fuyait. Elle ne s’attachait pas aux gens, ça n’apporte que des ennuis. Elle avait déjà fui pour s’être attachée trop à des hommes, à des femmes.
Pour beaucoup, elle était bisexuelle. En vrai c’était un peu plus compliqué que ça : si le feeling était bon, qu’elle avait confiance, que c’était réciproque, alors qu’importe le genre de la personne, du moment qu’ils/elles avaient leur petite bulle à eux/elles.

Elle avait souvent fui les gens, fui les villes trop grandes, fui des situations pesantes, fui des petits boulots…

Son téléphone vibre.

– Coucou Miss, t’es où ? J’suis devant chez toi.
– Je suis dans un train pour Milan. Je ne sais pas où je finirai ma course encore.
– Tu recommences. T’aurais pu me le dire au moins !
– Désolée, j’avais pas le choix, il fallait que je parte.
– Je sais que ce n’est pas facile, mais je suis là… dis moi où tu te poses, je viendrai si je peux.

Jules était son ami d’enfance, la seule attache qu’elle avait. Bien qu’elle déménage souvent, ils ne se sont jamais vraiment perdus de vue.

Il venait toujours la voir quelques jours même si elle partait à l’autre bout de la France. Mais là elle était décidée à passer une frontière.
Lorsqu’elle n’allait pas bien, Jules était toujours là… et c’était réciproque. Elle était revenue dans l’Est de la France parce que Jules avait perdu son père. Et puis c’était son tour à elle… un accident de la route lui a pris ses parents. Un camionneur qui s’est endormi…

Beaucoup lui parlaient d’héritage. Mais il n’y avait aucun héritage, ses parents n’avaient rien si ce n’est leur maison. Et il était hors de question de s’en séparer. Mais il lui était devenu trop difficile d’y vivre. Trop de souvenirs, trop difficile pour elle. Parfois il vaut mieux partir pour mieux revenir. C’est ce qu’elle faisait. C’est ce qu’elle avait toujours fait et c’est ce qu’elle faisait de mieux.

Mallow s’était endormi. Il doit faire de beaux rêves vu les petits soupirs qu’il pousse.

Emma continue de regarder les paysages défiler. Elle ne s’en lasse pas, comme à chaque fois.

Elle sort son smartphone de sa poche et regarde déjà où elle pourrait se poser après Milan… elle jette un oeil aux destinations… Lecce… ça a l’air bien ça… Elle regarde les petits hôtels du coin pour savoir où elle pourrait dormir et prendre une douche après son voyage… Il semble y en avoir quelques uns, ça fera l’affaire. Elle espère trouver un job et un appartement assez vite, au pire elle ira dans une autre ville aux alentours. Comme souvent. Comme toujours.

Elle s’endort doucement sous les secousses du train… Le contrôleur vient la réveiller.

– Terminus, faut descendre… le voyage a été bon ?
– OH MERDE… pardon… je… Merci beaucoup.

Elle essuie un peu de bave qui coulait de sa bouche, réveille doucement son chat, récupère sa valise avec l’aide du contrôleur et descend sur le quai.
Comme souvent, elle s’y sent bien. Emma aime les gares, elle y croise des gens pressés qui veulent simplement se rendre au travail, des gens qui partent en voyage, des couples qui se retrouvent, d’autres qui se séparent… les gens semblent vrais : énervés, amoureux, tristes mais ces émotions ne sont ni surjouées, ni simulées.

Elle regarde son chat s’étirer.

– Tu dois avoir faim… on va chercher un billet et on va grignoter et boire un peu… et si tu dois faire pipi comme ça…
– Mawww

Elle prend son gros chat qui n’arrive vraiment pas marcher avec son harnais, le glisse dans son sac et file chercher un billet pour Lecce.
Billet en poche, elle sort de la gare et s’enfonce dans une ruelle pour trouver un truc à manger… Elle s’arrête dans un fastfood, elle ne peut pas perdre trop de temps. Elle choppe un repas rapide et un café et retourne côté gare se poser dans un coin.
Elle sort le nécessaire pour que son chat boive et mange un peu et elle sort ses petits sacs au cas où il fait ses besoins.
Elle mange son sandwich, avale sa boisson et son café et c’est déjà l’heure d’enchaîner le prochain train. Elle en a pour 11h30 de train. Elle passe devant une petite épicerie de gare, elle prend un sandwich et des petits gâteaux pour le voyage. Elle en profite pour reprendre une bouteille d’eau aussi… Et va sur le quai.

Son train y est déjà. C’est tellement inhabituel que les trains soient à l’heure qu’elle en est surprise.
Elle monte trouver une place. Un grand monsieur vient la voir et lui demande en italien si elle a un billet pour le chat. Elle répond que oui et se dit qu’heureusement que sa famille est italienne, ça aide à la compréhension d’une langue.

Elle s’installe, prend son chat qui se rendort vite sur ses genoux. Elle regarde les paysages défiler, les quais s’enchaîner. Un inconnu la regarde régulièrement… elle ne comprend pas pourquoi, peut-être a-t-elle encore de la bave sur la joue après tout… elle pose sa tête en arrière, tient bien son chat et commence à s’assoupir.

Elle se réveille souvent, les secousses du train, le bruit ambiant… vérifie que son chat est toujours là… Et enfin, elle arrive à Lecce.

“Lecce nous voici ! En route pour une nouvelle vie ! Allez viens gros chat Mallow ! »

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hackorn
https://blog.hackorn.net

Un peu magique, un peu trash, un peu tout, surtout rien.

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